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De martyres
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(178) mapa de Schütte 1968, p. 431.
(178) mapa de Schütte 1968, p. 431.
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3.000 ejecutados en todo el siglo XVII, la gran mayoría de los 300.000 "eligió la apostasía". (nota 3, Ruiz de Medina), en el sur, antiguos bastiones jesuíticos, muchos falsos apóstatas, cristianos ocultos, mantuvieron ciertas prácticas cristianas: bautizo, respeto a principales fiestas, recitación de oraciones en latín, a mediados del XIX había unos 50.000 cristianos ocultos (nota 4; Nogueira Ramos 2019).
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(180) Nota 5: l’oeuvre des missionnaires était, dès l’origine, vouée à l’échec tant les dogmes chrétiens étaient
éloignés des mentalités religieuses du Japon de l’époque (Kouamé 2016), d’autres pensent, au contraire,
que la multiplication des conversions dans le dernier tiers du XVIe siècle atteste du fait que le catholicisme
répondait aux attentes d’une partie de la population (Kawamura 2011).
Higashibaba Ikuo: mourir en martyr revenait à ne plus pouvoir assurer les rites familiaux. Il estime ainsi que l’apostasie formelle était « la décision la plus sensée et appropriée pour ceux qui désiraient persister dans leur foi6 ». « the most reasonable and practical conclusion if people wanted to continue their faith », Higashibaba 2001,
p. 155.
au XVIe siècle, deux écoles bouddhiques porteuses d’un message exclusif
connaissent un grand succès : le nichirenisme (Nichirenshū 日蓮宗) et la Véritable école de la
Terre pure (Jōdo shinshū 浄土真宗). Ces mouvements, qui sont entrés en conflit armé avec le
pouvoir guerrier, ont été, comme les autres écoles bouddhiques, progressivement placés sous
le contrôle de celui-ci ; les factions les plus radicales ont, à l’image du catholicisme, été
interdites8. Pour une étude transversale des mentalités religieuses dans le Japon de la fin du Moyen Âge et du début
de l’époque moderne, voir Kanda 2016.
(182) Kyūshū, l’île de l’archipel qui abrite le plus grand nombre de catholiques, beaucoup de daimyō
ne sont pas des vassaux directs des Tokugawa : ils disposent d’une large autonomie11. Carré 2009, pp. 647-653.
À trois reprises, en 1619 à Kyoto, en 1622 à Nagasaki et à Edo
en 1623, le shogunat fait exécuter devant un parterre de seigneurs une cinquantaine de clercs
et de laïcs qui jouaient un rôle central au sein de la communauté catholique12 Le grand martyre d’Edo a été étudié en détail par Hubert Cieslik 1954.
Différentes méthodes (meilleure synthèse de ces différentes mesures dans Shimizu 1981, pp. 172-
199. En anglais, voir le dernier chapitre de Higashibaba 2001.)
sont utilisées : le scellement de serments adressés aux dieux et aux bouddhas ; le foulement
d’objets de piété catholique, le fumie 踏絵 ; l’inscription obligatoire dans un temple
bouddhique. C’est cette dernière méthode combinée dans certaines régions au fumie ou au
scellement d’un serment, qui va s’imposer dans tout le pays. Le système des templesparoisses
ne s’est toutefois pas mis en place de manière synchrone dans l’ensemble de
l’archipel : il faut attendre les années 1660 pour que tous les Japonais soient inscrits dans un
temple et que leur orthodoxie religieuse – terme qui a bien peu de sens dans le contexte
japonais – soit garantie par un membre du clergé bouddhique15. Ōhashi 2001, pp. 100-131.
(183) Arima Naozumi 有馬直純 (1586-1641) a dû apostasier pour hériter du domaine de Shimabara, entre 1612 et 1615,
une soixantaine d’entre eux sont mis à mort17. Ruiz-de-Medina 1999,
pp. 316-354.
D’immenses cortèges, où se mêlent chants
catholiques et scènes de flagellation, accompagnent ces martyrs ; des communautés
adressent aux autorités seigneuriales des serments collectifs témoignant de leur volonté de
ne jamais apostasier18. Ebisawa 1981, pp. 179-189
Si l’on se fie aux chiffres donnés par les jésuites, il y aurait eu à cette
époque entre 15 000 et 20 000 catholiques dans le fief, surtout dans la moitié sud19. Mattheus de Couros (1568-1633 ?) dit avoir 3 000 catholiques à sa charge
(184) D’après Baltasar de Torres (1563-1626), un jésuite espagnol, il doit agir sous peine
de perdre son fief, fief qu’il doit entièrement au shogunat :
Plusieurs fois, nous avons avisé les conseillers du Père Provincial qu’il était très
dangereux que lui et les autres pères de cette région habitassent dans un seul
endroit, alors que la persécution est si forte, en se fiant uniquement à l’aménité
et à la bienveillance dont le seigneur avait fait preuve jusque-là à leur égard. Celuici
savait qu’ils étaient cachés dans ses terres. Mais comme la chose a fini par être
connue de la multitude, il était certain que le seigneur ne feindrait plus l’ignorance
afin de ne pas mettre en péril sa position23.
ARSI, Jap.Sin., vol. 37, fos 274-275 vo, 25 février 1626 : « Algumas vezes aconselhamos os consultores ao Pe
Proval que era cousa muy perigosa estar elle, e os mais Pes daquellas terras de ordino em hum lugar em tempo
de tam grande perseguição, confiados somte no primor, e brandura, de que aquelle Tono usou ate agora com
os Pes que sabia, que estavão em suas terras escondidos: mas como chegasse a cousa a ser sabida no vulgo, era
certo, que o Tono não avia de dissimular, por não pôr a risco seu estado ».
(185) les crypto-catholiques doivent vénérer extérieurement les bouddhas (fo 42 vo). À cette date,
le clergé bouddhique a considérablement renforcé sa présence dans la région. Les réfractaires
sont torturés et, s’ils persistent, exécutés ; une centaine de catholiques meurent entre 1626
et 1633 27. Ruiz-de-Medina 1999, pp. 546-708.
l’écrasante majorité des officiers et des moines se contentait
d’une apostasie de façade.
Vers 1620, Ōmura, un fief situé à
proximité de Shimabara, spécifie, dans un décret portant sur l’interdiction du christianisme,
que la fuite est inutile, car l’édit de 1614 s’applique dans tout le pays28. Fujino & Shimizu 1994, p. 149.
entre 1615 et 1625, la communauté catholique de
Shimabara a été épargnée. Les jésuites mentionnent fréquemment l’arrivée au sud de cette
péninsule de chrétiens qui fuient la répression ou qui, pour avoir refusé de renier leur foi, ont
perdu leur statut social. Il s’agit, dans la plupart des cas connus, d’anciens guerriers qui
retrouvent rapidement une place de choix dans les communautés locales.
21. C’est le cas par exemple de Simeão Okuda Zean (?-1625), un samouraï originaire du
Kansai, qui après avoir servi le seigneur catholique de la province de Higo 肥後, Konishi
Yukinaga 小西行長 (1555-1600), est devenu vassal de Katō Kiyomasa 加藤清正 (1562-1611),
un seigneur connu pour son animosité à l’endroit des missionnaires. La vie de Simeão est
(186) connue grâce au rapport annuel de la Compagnie de Jésus pour l’année 1626 29. ARSI, Jap.Sin., vol. 61, fos 100-101 vo, 24 mars 1627.
En 1612, ayant
refusé d’abjurer sa foi et de rejoindre « as seitas dos Camis e Fotoques [des dieux et des
bouddhas] », il est démis de ses fonctions et ses biens sont confisqués. Commencent alors
pour lui et sa famille des années d’errance ; rejetés de différentes régions du pays car ils
professent la religion interdite, ils sont finalement accueillis par les « bons e antigos cristãos »
de Kuchinotsu. Dans ce port du sud de la péninsule de Shimabara, Simeão aurait joué un rôle
clef dans la communauté catholique locale au point d’être un interlocuteur privilégié des
missionnaires clandestins. L’auteur du rapport annuel le présente aussi comme un modèle de
piété faisant la lecture des ouvrages de la Compagnie aux fidèles de la région. C’est pour ces
raisons qu’il est décapité par les autorités le 18 décembre 1625, à la suite de l’arrestation de
plusieurs missionnaires
un passage portant sur Shimabara dans le rapport pour 1629 et 1630, l’auteur
du document décrit le dilemme auquel doivent faire face les catholiques :
La liste établie, le tyran ordonna à ses intendants qu’en se fiant à celle-ci, ils
assemblassent tous les chrétiens en un lieu afin de les contraindre à adorer le
bouddha et que si certains ne voulaient pas obéir, qu’ils fussent envoyés à
Shimabara pour que le pouvoir des tortures les fît idolâtrer. Ces pauvres chrétiens
se trouvaient dans un état extrême de détresse et d’angoisse, car si d’un côté, ils
comprenaient la grave offense qu’ils commettaient envers Dieu en adorant le
bouddha même de manière feinte, d’un autre côté, ils craignaient grandement la
férocité des tortures que ce cruel tyran avait l’habitude de faire subir à ceux qui
ne se soumettaient pas à lui. Ils ne sentaient pas en eux le courage de pouvoir y
résister ; se cacher ne pouvait réussir ; fuir, ils n’en avaient ni les moyens, ni la
destination pour cela. Finalement, la crainte et la faiblesse l’emportèrent en
grande partie. Ils se réunirent chez le moine comme cela leur était demandé, et
quelques-uns adorèrent [le bouddha] ; ceux-ci furent minoritaires. La majorité,
puisqu’elle n’adorait pas [le bouddha], se tut, et les intendants, considérant qu’ils
n’aient pas refusé de se réunir en un tel endroit comme une preuve d’idolâtrie et
(187) d’obéissance à leur seigneur, dissimulèrent aussi en ne contraignant pas chacun
des chrétiens à idolâtrer individuellement30. ARSI, Jap.Sin., vol. 62, fos 42-43 vo, 20 août 1631 : « Feito o rol mandou o Tyranno a seus Feitores que
conforme a elle cada hum em seu districto ajuntasse todos os Christãos em hum lugar, e os constrangesse a
adorar o Fotoqe ; E que se alguns não quizessem obedecer, lhos mandassem a Ximabara pera la o poder de
tormentos os fazer idolatrar. Viamse os pobres christãos em summa affliçam e aperto, por que por huma parte
conheciam a gravissima offensa que comettião contra Ds adorando o Fotoqe ainda que fingidamente por outra
temião grandemente a crueldade dos tormentos com que este cruel Tyranno custuma atormentar os que se lhe
não rendem. E não sentião em si animo pera os sofrer ; esconderse não podia ser de effeito ; fugir não avia meyo
nem caminho pera isso. Em fim venceo pola maior parte o temor e fraqueza ; ajuntaramse na caza do Bonzo
como lhes era mandado adorarão alguns e forão os menos ; os mais posto que não adorarão, calaramse, e os
Feitores tomando por sinal de idolatrarem e obedecerem ao Tono o ajuntaremse naquelle lugar e não
repugnarem nelle, dissimularão tambem não os constrangendo a que cada hum em particular idolatrasse ».
23. Le problème de la dissimulation des croyances revient à plusieurs reprises dans le témoignage
d’un paysan non catholique sur la répression à Shimabara entre 1612 et 1638. Ce texte, connu
d’après une copie datant de 1682, s’intitule Hizen Arima korō monogatari 肥前有馬古老物語
(Récits d’un ancien du village d’Arima de la province de Hizen).
ce témoignage unique semble fiable : il recoupe
en partie les noms des martyrs et les chiffres donnés par les jésuites.
24. Dans ce document, les catholiques avancent souvent que dans leur religion, il est interdit de
cacher sa foi. Moguru 潜る, un terme que l’on peut traduire par « cacher » ou « dissimuler »,
revient à plusieurs reprises. Les premières personnes à avoir connu le martyre à Shimabara
ont été exécutées pour avoir refusé de simuler leur rejet du catholicisme :
La 16e année de Keichō [1611], ou alors la 17e année [1612] si l’on se fie à d’autres
avis, tous les maîtres [les prêtres] de la religion hérétique [le catholicisme] ont été
expulsés [du Japon]. Les temples des hérétiques ont été tous détruits. Ensuite,
Arima Saemon-no-suke [Arima Naozumi] a enquêté sur la religion de ses vassaux ;
sept samouraïs ont dit qu’il était interdit de dissimuler la religion [catholique].
Parmi eux, certains possédaient des arrière-fiefs. À commencer par Taketsugu
Kanzaemon, ils ont tous été ligotés à un poteau et brûlés vifs31. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 590
les prêches du premier moine appelé par Arima Naozumi
afin de détourner ses sujets du catholicisme n’auraient eu aucun effet :
(188) Puis, [Arima] Saemon-no-suke a fait venir du Kantō un moine vertueux du nom de
Banzui[i]32. Banzuii 幡随意 (1642-1615) est un moine de l’école de la Terre pure (Jōdo shū 浄土宗) proche du premier
shogun, Tokugawa Ieyasu 徳川家康 (1543-1616).
Ce dernier a réuni les habitants de Shimabara et a prêché devant eux
pendant 17 jours. Cependant, pas un seul [des catholiques] n’a écouté
[sérieusement] ses prêches. Le moine a alors dit : « Quoique je leur dise pour leur
édification, cela ne sert à rien. [Leur obstination] vient du fait qu’ils ont reçu
l’enseignement des sorciers venus de l’étrangers. » Banzui est rentré peu après
dans le Kantō33. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 590
26. La simple signature d’un registre attestant de leur changement de religion semble avoir
provoqué la réprobation des plus opiniâtres. Plusieurs préfèrent affronter la mort plutôt que
d’apposer leur sceau :
La 19e année de Keichō [1614], Yamaguchi Suruga-no-kami […] est venu d’Edo en
tant qu’envoyé du shogunat afin d’extirper l’hérésie [qui s’était répandue] parmi
les habitants de Nagasaki et Shimabara. Il a fait venir des bateaux au village de
Mogi pour se rendre à Kuchinotsu. Vingt bateaux de toutes les tailles ont été
envoyés par le seigneur de Satsuma. À Kuchinotsu, Yamaguchi Suruga-no-kami a
ordonné aux habitants d’apposer leur sceau sur un document attestant de leur changement de religion. Plusieurs personnes ont dit qu’elles ne pouvaient sceller
un tel document. [Les hommes de Yamaguchi Suruga-no-kami] ont saisi 25 figures
du village ; après avoir déveiné [leurs mains ?], ils leur ont tranché les doigts ; puis,
ils les ont tous exécutés. Après, Yamaguchi Suruga-no-kami s’est rendu à Arima. Il
a ordonné à tous les habitants de sceller le même document, mais certains ont dit
qu’ils ne pouvaient le faire. Pour cette raison, 18 d’entre eux ont été exécutés.
L’envoyé du shogunat est allé ensuite à Shimabara et a ordonné la même chose
aux habitants de la ville. Parmi les bourgeois, quatre ont dit qu’ils ne pouvaient
obéir à cet ordre. Après avoir été interrogés pendant toute une nuit, trois d’entre
eux ont décidé d’obtempérer. Un seul s’y est opposé avec obstination. Il a été
confié à sieur Taku Nagato d’Arima. Il a été placé en prison dans ce village34. Ibid., p. 591
(189) En
1627, le préfet de Nagasaki demande au fief de Shimabara de faire renier leur foi à
342 catholiques :
La quatrième année de Kan’ei [1627], c’est-à-dire l’année du lapin, Mizuno
Kawachi-no-kami est devenu préfet de la ville de Nagasaki. À Nagasaki, il a fait
inspecter 342 personnes qui ont dit qu’elles ne pouvaient dissimuler leur adhésion
à la religion hérétique. Ces personnes ont été remises par les hommes du shogun
à Matsukura Bungo-no-kami [le seigneur de Shimabara]. [Ses hommes] ont
réfléchi à différentes façons [de les faire apostasier]. Les catholiques ont subi
diverses tortures. À tel point qu’ils sont [pratiquement] tous tombés et ont eu la
vie sauve. Parmi eux, un seul, Kamiya Jōya, a refusé de dissimuler [sa foi]. On l’a
plongé dans les enfers de Unzen35. Unzen est un volcan situé au centre de la péninsule de Shimabara où les catholiques étaient torturés ou
exécutés. Ibid., pp. 591-592
Dato sobre el arraigo del cristianismo: Par exemple, à la fin du XVIe siècle, les
registres des religieux itinérants d’Ise, le principal sanctuaire du pays, montrent que ceux-ci
n’avaient pratiquement plus accès aux régions où, avec le soutien des seigneurs, la Compagnie
de Jésus s’était imposée36. Kudamatsu 2002, pp. 93-94.
A partir de ahora los jesuitas tendrán mucho trabajo reconciliando a los lapsos: Baltasar de Torres décrit de cette façon
l’activité des jésuites en 1620 :
[Mattheus de Couros] envoie les pères effectuer des missions dans tous les
royaumes [du Japon]. Nous avons fait plus de missions durant cette persécution
qu’en temps de paix. N’ayant ni maison, ni endroit fixe où résider, la nécessité
nous oblige à parcourir toutes ces régions et à affronter le danger. Mais cela est
(190)
très positif et bénéficie aux chrétiens. Nous confessons une multitude de gens, il y
a toujours de nouveaux baptêmes et certains se relèvent après êtres tombés
tandis que la persécution faisait rage37. ARSI, Jap.Sin., vol. 38, fos 240-241 vo, 21 octobre 1620 : « [Mattheus de Couros] manda os Pes a diversas
missões por todos estes reynos, e mais missões se tem feito nesta perseguiçam que no tempo da paz porque
como não temos casas, nem lugares determinados em que estar, a necessidade nos obriga a discurrir por todas
partes com mto perigo mas com mto fruito e pveitamento destes xpãos, confessase infinita gente, sempre ha
baptismos de novo, e se alevantão outros q com a furia da perseguiçam tinham caydo »
Toutefois, ceux-ci sont de moins en moins nombreux : jusqu’en 1625, tous ordres confondus,
ils sont une trentaine. Après 1625, il est pratiquement impossible, pour le clergé, de pénétrer
clandestinement dans l’archipel et les missionnaires sont arrêtés les uns après les autres ; le
dernier jésuite aurait été exécuté en 1644 38. Schütte 1968, pp. 348-366
Cristóvão Ferreira écrit, dans son rapport sur Shimabara cité précédemment, que
ce sont même les catholiques qui demandent aux missionnaires de ne pas courir des risques
inutiles :
Les Européens ont une apparence physique si différente de celle des Japonais
qu’ils ne peuvent se déguiser de sorte de ne pas être tout de suite reconnus et
arrêtés. Le père insistait pour que l’on le laissât se rendre sur un terrain inculte
afin de confesser et de donner les sacrements à ceux qui voudraient se rendre
auprès de lui. Cependant, [les chrétiens] répondirent que cela aboutirait au même
résultat, car, dans une époque comme celle-ci, sa présence ne pouvait être
dissimulée pour les multiples causes et raisons qu’ils alléguaient ; ils étaient
convaincus qu’il serait arrêté sans pouvoir aider les chrétiens et, à bien y penser,
ils ne pouvaient consentir à une telle demande, car ils estimaient qu’elle était
contraire au meilleur service à Dieu et au bien de cette chrétienté. Ainsi, il dut se
plier à une volonté étrangère à la sienne ; contraint par la situation, il prêta secours
[à ses ouailles] par des lettres. En instruisant sur leur rôle les kanbō, les dōjuku39,
et les chrétiens fervents ayant une bonne connaissance de notre sainte foi, le père
(191) récolta les fruits de ses efforts et, comme nous le verrons, [ces fruits] furent
nombreux40. ARSI, Jap.Sin., vol. 63, fos 130 vo-131, 25 janvier 1628 : « […] porq como os Europeos são tão differentes nas
feições dos Japoes não se podem disfraçar de modo q não seião logo conhecidos e prezos […]. Instava o Pe q plo
menos se queria meter em hum mato, e aly confeçar e sacramentar os q a elle quisessem acodir, porem a isto
responderão q vinha a ser o mesmo ; porq sua estada em tal tempo não podia ser emcuberta por muitas causas,
e rezões q allegavão, e eram certo aver de ser prezo sem poder ajudar os christãos, e finalmte por remate de
tudo dizião q de nenhum modo avião de conssentir tal cousa por entenderem ser o contro de mayor serco de
Deos, e bem desta christandade pelo q foi forsado a seguir a vontade alheya contra a propria, e ceder ao tpo,
acudio com tudo por cartas. Cambos dojucos e outros christãos afervorados, e bm entendidos nas cousas de
nossa sta fee instruindo os no q devião fzer e não colheo pouco fruito como yremos vendo ».
Dans une lettre de 1623, il est spécifié que les confréries
ont pour principal objectif de diffuser, parmi la population catholique, un enseignement
conforme à celui des jésuites41 ; un règlement de confrérie de 1620 du fief de Shimabara
stipule que tout prédicateur, avant d’être reçu dans la communauté, doit montrer le sceau de
la Compagnie42. Sesuzu no o-kumi no reikarasu 世須ゝ乃御組のれいから須 (Les règles de la
confrérie de Jésus). On peut en consulter une transcription dans Matsuda 1967, pp. 1148-1151. Le passage
cité se trouve p. 1148.
Un traité imprimé à Nagasaki en 1603,
le Konchirisan no riyaku こんちりさんのりやく (Les Mérites de la Contrition), est l’ouvrage
jésuite dont on a retrouvé le plus de copies manuscrites aux XIXe et XXe siècles dans les villages
de descendants de catholiques43. Kawamura 2011, pp. 236-300.
Dans les années 1790, à Urakami 浦上, un bourg
situé dans le voisinage de Nagasaki, les autorités shogunales confisquent une dizaine d’écrits
lors d’une enquête sur la communauté crypto-chrétienne locale : parmi ces derniers, on
trouve deux exhortations au martyre et quatre vies de femmes martyres de l’Antiquité44. Anesaki 1925,
pp. 28-31.
(192) Une pratique consistant à faire annuler son apostasie en scellant un serment de retour à la foi
est, jusqu’à la fin des années 1630, attestée dans les documents traitant de Shimabara. On
trouve la mention d’un tel comportement dans les Récits d’un ancien du village d’Arima de la
province de Hizen :
La cinquième année de Kan’ei [1628], c’est-à-dire l’année du dragon,
207 habitants du village d’Arie, qui regrettaient d’avoir scellé un document
attestant de leur rejet de la religion [catholique], se sont rendus en groupe à
Shimabara afin de restituer ces documents [aux autorités]. Parmi eux, se
trouvaient [Kichibei], Gonzaemon, Sakuemon, les époux Kyūi, Mataemon et la fille
de Kenmotsu. Ces sept personnes étant à l’origine de ce mouvement, il a été
décidé qu’elles subiraient le supplice de la scie en bambou. Ne pouvant supporter
un tel sort, elles ont pratiquement toutes décidé de renoncer [de nouveau] à leur
religion. Kichibei s’est obstiné dans son refus ; il a été décapité. S’agissant de
personnes importantes, Gonzaemon et Sakuzaemon [Sakuemon ?] ont été
exécutés. Les quatre autres ont eu la vie sauve45. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 592
En 1627, environ 80 villageois de Yamadera, en
prévision de la venue prochaine d’officiers du fief, auraient procédé de la même manière.
(193) Il y a près de Shimabara un village du nom de Yamadera dont les habitants, sachant
ce qui se passait dans la ville et comprenant qu’ils devraient eux aussi bientôt subir
les mêmes épreuves et difficultés, s’unirent et s’allièrent en se faisant tous la
promesse de choisir plutôt la mort que de reculer dans la confession de leur foi.
Ils étaient plus de quatre-vingts, et en tous on voyait la même ferveur, le zèle dans
le service à Dieu, et la volonté de donner leur vie pour le Christ. Le tyran eut vent
de leur résolution, et celle-ci ne fit qu’augmenter sa colère, car il voyait que
quelques pauvres laboureurs s’étaient alliés afin de ne pas obéir à ce qu’il voulait
les contraindre de faire avec tant de sévérité47. ARSI, Jap.Sin., vol. 63, fo 130, 25 janvier 1628 : « Ha perto de Ximabara hua aldea chamada Yamadera cujos
moradores sabendo o q passava na Cidade, entendendo q tão bem avião logo de passar plo mesmo exame, e
rigor se unirão, e confederarão entre sy comprometendosse todos a morrer antes q fazer pee atraz na confição
da fee. Passava o numero delles de oitenta, e em todos se via o mesmo fervor, zello da honra de deos, e vontade
de dar a vida por Christo. Teve o Tyranno noticia de esta rezolução e com ella lhe creceo mais a ira vendo q
huns pobres lavradores se união entre sy pera lhe não obedecerem no q com tanto rigor lhes mandava ».
Après 1614, les catholiques signent aussi ce que l’on appellerait aujourd’hui des « pétitions de
soutien » aux ordres présents au Japon (jésuites, franciscains, dominicains, augustins).
Plusieurs de ces pétitions, qui étaient envoyées en Europe, ont été conservées. Cette action,
qui n’était pas sans risque, était vraisemblablement perçue comme méritoire aux yeux des
signataires48. Une pétition de soutien aux dominicains envoyée par la communauté de Nagasaki en 1622 a été analysée
en détail par Reinier H. Hesselink (2015).
Jurer serment devant les dieux et les bouddhas est une pratique encore très courante dans
les années 1600. On peut le faire pour une variété d’accords engageant deux ou plusieurs
parties ; c’est par exemple sous cette forme que les seigneurs nouent des alliances. Ceux qui
se dédient sont promis aux pires sanctions. Des historiens estiment qu’à partir du XVIe siècle,
de moins en moins de Japonais croient réellement dans les implications quasi magiques
prêtées à ces documents : la multiplication des divinités mentionnées et l’obligation de plus
en plus fréquente qu’avaient les jureurs de signer de leur sang attesteraient de cette
évolution49. Shimizu 2010, pp. 151-156.
(194) On peut imaginer que le jeûne, le redoublement de la prière ou la mortification aient été
perçus comme autant de solutions pour obtenir le pardon de ses fautes. Des études ont
montré que cette dernière était particulièrement prisée des catholiques de Kyūshū 51 . Shin 2013
plusieurs indices dans la documentation laissent penser qu’après 1614,
l’adhésion à une confrérie était perçue par les catholiques comme un moyen pour effacer ses
péchés et assurer son salut.
règlement d’une confrérie jésuite dédiée à Marie évoque dans son
préambule leur importance ; le texte date de 1618 :
1. L’objectif de ce kumi53 groupe ou une association.
(ou confrérie) […] n’est pas seulement le bénéfice de ceux
qui la rejoignent, mais aussi le bon entretien et gouvernement de la chrétienté. En
répartissant les chrétiens [sous la direction de] certains chefs et congrégations, ils
sont mieux et plus facilement aidés et gouvernés en toute chose. En temps de
persécution, les bienfaits d’une telle organisation sont patents54. Kawamura 2003. Voir la page 423
(195) À Shimabara, tous les catholiques, peu ou prou, avaient un lien avec une confrérie, en étant
confrères ou en appartenant à une maisonnée dont le maître l’était55.
Deux
de ces documents, qui datent du début des années 1620, concernent des confréries de
Shimabara contrôlées par la Compagnie de Jésus. Plus que sur les devoirs individuels, ces
règles insistent sur la réversibilité des mérites – une pratique bien connue du bouddhisme
japonais56 – Gorai 1991.
et sur la nécessité d’être solidaire
La répression [contre le clergé] étant rigoureuse, vous avez compris que vous ne
pouvez plus vous rendre dans les églises 57 ,
assister à la messe, écouter les
prédications ou vous entretenir avec les pères et les frères [de la Compagnie]. Il
est donc extrêmement important que, de temps en temps, les chrétiens se
réunissent un peu partout, s’exhortent à travailler à leur salut et fortifient leur foi.
C’est pourquoi, sans relâche, vous devez vous encourager et vous réunir, sans
négligence, aux dates fixées. Il va sans dire que ces actions feront gagner à chacun
d’entre vous les bienfaits [de Dieu]. Vous devez être conscients que prêter soutien
à son prochain est une action extraordinairement méritoire [auprès de Dieu]58. Matsuda 1967, p. 1148
En ce moment, le Tengu [le Diable] entraîne les chrétiens dans la voie du mal, leur
fait perdre la foi et s’efforce de les faire combattre les lois voulues par Dieu. Tout
cela est incontestable. Les chrétiens, qui sont des serviteurs de Dieu, doivent unir
(196) leur coeur, affermir leur foi et encourager la piété. Il faut qu’ils fassent tout leur
possible pour que la loi [de Dieu] prospère chaque jour davantage. Sans faute,
rappelez à ceux qui sont sous votre direction qu’agir de la sorte procure les
bienfaits inestimables de Dieu59. Matsuda 1967, p. 1148
étaient plutôt réservées à une élite dévote et
promouvaient une piété intériorisée.
demande de bref
d’indulgence que la Compagnie adresse au pape. Ce document n’est pas daté, mais il est
certain que celui-ci est postérieur à 1622, puisque la canonisation d’Ignace de Loyola (1491-
1556), qui a eu lieu cette année-là, est signalée61. Como os Religiosos das demais religiões que estão em Japão, pera
atrahirem a gente a suas Confrarias alegão q as Nossas nao tem indulgencias, como tem as Suas, nos pareceo
conveniente pedirse ao Summo Pontifice algumas pera quatro Confrarias q em Japão fossem proprias da
Compa. ARSI, Jap.Sin., vol. 22, fos 258-259, non daté (après 1622).
50. Six des 19 indulgences demandées concernent en particulier le comportement des catholiques
lors de la répression. Il semble que la Compagnie de Jésus voulait montrer à ses fidèles que
tout acte méritoire, en cette période de crise, devait se faire dans le cadre de l’une de ses
confréries. Ainsi, rendre visite et encourager un catholique emprisonné pour ses convictions
religieuses rapporte mille ans d’indulgence (point 10) ; ramener un apostat à la foi, une
indulgence plénière (point 11) ; même récompense pour ceux qui assistent les missionnaires
clandestins (point 12), ceux qui encouragent les futurs martyrs à se réjouir en public de mourir
pour la vérité (point 14) ou ceux qui prennent à leur charge les veuves et les orphelins de ces
derniers (point 15). La 13e demande d’indulgence concerne les confrères qui refusent, de
bouche ou par écrit, de renier leur foi :
13°. Chaque fois que l’un des confrères, pressé par un préfet ou des officiers de
justice d’abandonner sa foi en notre Seigneur Jésus Christ, répond avec
(197) détermination que, jusqu’à la mort, il ne peut l’abandonner, ou s’il ne signe pas le
papier que signent ceux qui renient, ou s’il n’accepte par les écrits païens qu’ils
appellent fuda, et qui sont distribués, sur ordre des seigneurs, par les moines
bouddhistes, il gagne une indulgence plénière62. Ibid., fo 258 vo : « Cada vez q qualquer dos Confrades sendo persuadido do Presidente, ou oficiais da justiça q
deixa a fee de nosso senhor IESU Chisto, responder animosamte q a não ha de deixar ate a morte : ou se não
assinar no papel no qual se assinão os q retrocedem, nem aceitar os Escritos gentilicos q per ordem dos Tonos
repartem os bozus, a q chamão Fuda, ganhara indulgencia plenaria ».
(198) D’une certaine façon, on peut définir la piété catholique ultérieure à l’édit de 1614 comme
étant compensatoire. Les catholiques, ou plutôt les crypto-catholiques, sont dans le besoin
régulier de se faire pardonner leur faute d’avoir renié formellement leur foi. La réticence que
beaucoup d’entre eux avaient à devenir, en apparence, bouddhistes montre qu’ils avaient fait
leur l’exclusivisme du message missionnaire et qu’ils étaient convaincus que tenir bon
jusqu’au bout était le meilleur moyen d’obtenir le salut.
51. Les fuda 札 sont des amulettes protectrices sur lesquelles figurent en général le nom d’une
divinité ou d’un bouddha. Elles servent à attester de l’adhésion de son propriétaire à un culte
ou de son soutien à un sanctuaire ou un temple.

Revisión actual - 19:36 17 jun 2022

Renier sa foi sans perdre son âme, artículo de Martin Nogueira Ramos en Bibliografía Japón

Nogueira Ramos, Martin, 2019, « Renier sa foi sans perdre son âme. Les catholiques japonais au début de la proscription (XVIIe s.) », Cahiers d’études des cultures ibériques et latino-américaines – CECIL, no 5, <https://cecil-univ.eu/C5_v1>, disponible en internet desde el 01/07/2019 [consultado el 17 de junio de 2022].

(177) En este artículo, se mostrará que con el mensaje exclusivo de los misioneros que arraigó en Japón, la transición forzada al secreto se acompañó de un aumento de las tensiones soteriológicas dentro de las comunidades cristianas.

(178) mapa de Schütte 1968, p. 431.

1592 schuette.jpg

3.000 ejecutados en todo el siglo XVII, la gran mayoría de los 300.000 "eligió la apostasía". (nota 3, Ruiz de Medina), en el sur, antiguos bastiones jesuíticos, muchos falsos apóstatas, cristianos ocultos, mantuvieron ciertas prácticas cristianas: bautizo, respeto a principales fiestas, recitación de oraciones en latín, a mediados del XIX había unos 50.000 cristianos ocultos (nota 4; Nogueira Ramos 2019).

1592 schuette kyushu.jpg

(180) Nota 5: l’oeuvre des missionnaires était, dès l’origine, vouée à l’échec tant les dogmes chrétiens étaient éloignés des mentalités religieuses du Japon de l’époque (Kouamé 2016), d’autres pensent, au contraire, que la multiplication des conversions dans le dernier tiers du XVIe siècle atteste du fait que le catholicisme répondait aux attentes d’une partie de la population (Kawamura 2011).

Higashibaba Ikuo: mourir en martyr revenait à ne plus pouvoir assurer les rites familiaux. Il estime ainsi que l’apostasie formelle était « la décision la plus sensée et appropriée pour ceux qui désiraient persister dans leur foi6 ». « the most reasonable and practical conclusion if people wanted to continue their faith », Higashibaba 2001, p. 155.

au XVIe siècle, deux écoles bouddhiques porteuses d’un message exclusif connaissent un grand succès : le nichirenisme (Nichirenshū 日蓮宗) et la Véritable école de la Terre pure (Jōdo shinshū 浄土真宗). Ces mouvements, qui sont entrés en conflit armé avec le pouvoir guerrier, ont été, comme les autres écoles bouddhiques, progressivement placés sous le contrôle de celui-ci ; les factions les plus radicales ont, à l’image du catholicisme, été interdites8. Pour une étude transversale des mentalités religieuses dans le Japon de la fin du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, voir Kanda 2016.

(182) Kyūshū, l’île de l’archipel qui abrite le plus grand nombre de catholiques, beaucoup de daimyō ne sont pas des vassaux directs des Tokugawa : ils disposent d’une large autonomie11. Carré 2009, pp. 647-653.

À trois reprises, en 1619 à Kyoto, en 1622 à Nagasaki et à Edo en 1623, le shogunat fait exécuter devant un parterre de seigneurs une cinquantaine de clercs et de laïcs qui jouaient un rôle central au sein de la communauté catholique12 Le grand martyre d’Edo a été étudié en détail par Hubert Cieslik 1954.

Différentes méthodes (meilleure synthèse de ces différentes mesures dans Shimizu 1981, pp. 172- 199. En anglais, voir le dernier chapitre de Higashibaba 2001.) sont utilisées : le scellement de serments adressés aux dieux et aux bouddhas ; le foulement d’objets de piété catholique, le fumie 踏絵 ; l’inscription obligatoire dans un temple bouddhique. C’est cette dernière méthode combinée dans certaines régions au fumie ou au scellement d’un serment, qui va s’imposer dans tout le pays. Le système des templesparoisses ne s’est toutefois pas mis en place de manière synchrone dans l’ensemble de l’archipel : il faut attendre les années 1660 pour que tous les Japonais soient inscrits dans un temple et que leur orthodoxie religieuse – terme qui a bien peu de sens dans le contexte japonais – soit garantie par un membre du clergé bouddhique15. Ōhashi 2001, pp. 100-131.

(183) Arima Naozumi 有馬直純 (1586-1641) a dû apostasier pour hériter du domaine de Shimabara, entre 1612 et 1615, une soixantaine d’entre eux sont mis à mort17. Ruiz-de-Medina 1999, pp. 316-354.

D’immenses cortèges, où se mêlent chants catholiques et scènes de flagellation, accompagnent ces martyrs ; des communautés adressent aux autorités seigneuriales des serments collectifs témoignant de leur volonté de ne jamais apostasier18. Ebisawa 1981, pp. 179-189

Si l’on se fie aux chiffres donnés par les jésuites, il y aurait eu à cette époque entre 15 000 et 20 000 catholiques dans le fief, surtout dans la moitié sud19. Mattheus de Couros (1568-1633 ?) dit avoir 3 000 catholiques à sa charge

(184) D’après Baltasar de Torres (1563-1626), un jésuite espagnol, il doit agir sous peine de perdre son fief, fief qu’il doit entièrement au shogunat : Plusieurs fois, nous avons avisé les conseillers du Père Provincial qu’il était très dangereux que lui et les autres pères de cette région habitassent dans un seul endroit, alors que la persécution est si forte, en se fiant uniquement à l’aménité et à la bienveillance dont le seigneur avait fait preuve jusque-là à leur égard. Celuici savait qu’ils étaient cachés dans ses terres. Mais comme la chose a fini par être connue de la multitude, il était certain que le seigneur ne feindrait plus l’ignorance afin de ne pas mettre en péril sa position23.

ARSI, Jap.Sin., vol. 37, fos 274-275 vo, 25 février 1626 : « Algumas vezes aconselhamos os consultores ao Pe Proval que era cousa muy perigosa estar elle, e os mais Pes daquellas terras de ordino em hum lugar em tempo de tam grande perseguição, confiados somte no primor, e brandura, de que aquelle Tono usou ate agora com os Pes que sabia, que estavão em suas terras escondidos: mas como chegasse a cousa a ser sabida no vulgo, era certo, que o Tono não avia de dissimular, por não pôr a risco seu estado ».

(185) les crypto-catholiques doivent vénérer extérieurement les bouddhas (fo 42 vo). À cette date, le clergé bouddhique a considérablement renforcé sa présence dans la région. Les réfractaires sont torturés et, s’ils persistent, exécutés ; une centaine de catholiques meurent entre 1626 et 1633 27. Ruiz-de-Medina 1999, pp. 546-708.

l’écrasante majorité des officiers et des moines se contentait d’une apostasie de façade.

Vers 1620, Ōmura, un fief situé à proximité de Shimabara, spécifie, dans un décret portant sur l’interdiction du christianisme, que la fuite est inutile, car l’édit de 1614 s’applique dans tout le pays28. Fujino & Shimizu 1994, p. 149.

entre 1615 et 1625, la communauté catholique de Shimabara a été épargnée. Les jésuites mentionnent fréquemment l’arrivée au sud de cette péninsule de chrétiens qui fuient la répression ou qui, pour avoir refusé de renier leur foi, ont perdu leur statut social. Il s’agit, dans la plupart des cas connus, d’anciens guerriers qui retrouvent rapidement une place de choix dans les communautés locales. 21. C’est le cas par exemple de Simeão Okuda Zean (?-1625), un samouraï originaire du Kansai, qui après avoir servi le seigneur catholique de la province de Higo 肥後, Konishi Yukinaga 小西行長 (1555-1600), est devenu vassal de Katō Kiyomasa 加藤清正 (1562-1611), un seigneur connu pour son animosité à l’endroit des missionnaires. La vie de Simeão est

(186) connue grâce au rapport annuel de la Compagnie de Jésus pour l’année 1626 29. ARSI, Jap.Sin., vol. 61, fos 100-101 vo, 24 mars 1627.

En 1612, ayant refusé d’abjurer sa foi et de rejoindre « as seitas dos Camis e Fotoques [des dieux et des bouddhas] », il est démis de ses fonctions et ses biens sont confisqués. Commencent alors pour lui et sa famille des années d’errance ; rejetés de différentes régions du pays car ils professent la religion interdite, ils sont finalement accueillis par les « bons e antigos cristãos » de Kuchinotsu. Dans ce port du sud de la péninsule de Shimabara, Simeão aurait joué un rôle clef dans la communauté catholique locale au point d’être un interlocuteur privilégié des missionnaires clandestins. L’auteur du rapport annuel le présente aussi comme un modèle de piété faisant la lecture des ouvrages de la Compagnie aux fidèles de la région. C’est pour ces raisons qu’il est décapité par les autorités le 18 décembre 1625, à la suite de l’arrestation de plusieurs missionnaires

un passage portant sur Shimabara dans le rapport pour 1629 et 1630, l’auteur du document décrit le dilemme auquel doivent faire face les catholiques : La liste établie, le tyran ordonna à ses intendants qu’en se fiant à celle-ci, ils assemblassent tous les chrétiens en un lieu afin de les contraindre à adorer le bouddha et que si certains ne voulaient pas obéir, qu’ils fussent envoyés à Shimabara pour que le pouvoir des tortures les fît idolâtrer. Ces pauvres chrétiens se trouvaient dans un état extrême de détresse et d’angoisse, car si d’un côté, ils comprenaient la grave offense qu’ils commettaient envers Dieu en adorant le bouddha même de manière feinte, d’un autre côté, ils craignaient grandement la férocité des tortures que ce cruel tyran avait l’habitude de faire subir à ceux qui ne se soumettaient pas à lui. Ils ne sentaient pas en eux le courage de pouvoir y résister ; se cacher ne pouvait réussir ; fuir, ils n’en avaient ni les moyens, ni la destination pour cela. Finalement, la crainte et la faiblesse l’emportèrent en grande partie. Ils se réunirent chez le moine comme cela leur était demandé, et quelques-uns adorèrent [le bouddha] ; ceux-ci furent minoritaires. La majorité, puisqu’elle n’adorait pas [le bouddha], se tut, et les intendants, considérant qu’ils n’aient pas refusé de se réunir en un tel endroit comme une preuve d’idolâtrie et

(187) d’obéissance à leur seigneur, dissimulèrent aussi en ne contraignant pas chacun des chrétiens à idolâtrer individuellement30. ARSI, Jap.Sin., vol. 62, fos 42-43 vo, 20 août 1631 : « Feito o rol mandou o Tyranno a seus Feitores que conforme a elle cada hum em seu districto ajuntasse todos os Christãos em hum lugar, e os constrangesse a adorar o Fotoqe ; E que se alguns não quizessem obedecer, lhos mandassem a Ximabara pera la o poder de tormentos os fazer idolatrar. Viamse os pobres christãos em summa affliçam e aperto, por que por huma parte conheciam a gravissima offensa que comettião contra Ds adorando o Fotoqe ainda que fingidamente por outra temião grandemente a crueldade dos tormentos com que este cruel Tyranno custuma atormentar os que se lhe não rendem. E não sentião em si animo pera os sofrer ; esconderse não podia ser de effeito ; fugir não avia meyo nem caminho pera isso. Em fim venceo pola maior parte o temor e fraqueza ; ajuntaramse na caza do Bonzo como lhes era mandado adorarão alguns e forão os menos ; os mais posto que não adorarão, calaramse, e os Feitores tomando por sinal de idolatrarem e obedecerem ao Tono o ajuntaremse naquelle lugar e não repugnarem nelle, dissimularão tambem não os constrangendo a que cada hum em particular idolatrasse ».

23. Le problème de la dissimulation des croyances revient à plusieurs reprises dans le témoignage d’un paysan non catholique sur la répression à Shimabara entre 1612 et 1638. Ce texte, connu d’après une copie datant de 1682, s’intitule Hizen Arima korō monogatari 肥前有馬古老物語 (Récits d’un ancien du village d’Arima de la province de Hizen).

ce témoignage unique semble fiable : il recoupe en partie les noms des martyrs et les chiffres donnés par les jésuites. 24. Dans ce document, les catholiques avancent souvent que dans leur religion, il est interdit de cacher sa foi. Moguru 潜る, un terme que l’on peut traduire par « cacher » ou « dissimuler », revient à plusieurs reprises. Les premières personnes à avoir connu le martyre à Shimabara ont été exécutées pour avoir refusé de simuler leur rejet du catholicisme : La 16e année de Keichō [1611], ou alors la 17e année [1612] si l’on se fie à d’autres avis, tous les maîtres [les prêtres] de la religion hérétique [le catholicisme] ont été expulsés [du Japon]. Les temples des hérétiques ont été tous détruits. Ensuite, Arima Saemon-no-suke [Arima Naozumi] a enquêté sur la religion de ses vassaux ; sept samouraïs ont dit qu’il était interdit de dissimuler la religion [catholique]. Parmi eux, certains possédaient des arrière-fiefs. À commencer par Taketsugu Kanzaemon, ils ont tous été ligotés à un poteau et brûlés vifs31. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 590

les prêches du premier moine appelé par Arima Naozumi afin de détourner ses sujets du catholicisme n’auraient eu aucun effet :

(188) Puis, [Arima] Saemon-no-suke a fait venir du Kantō un moine vertueux du nom de Banzui[i]32. Banzuii 幡随意 (1642-1615) est un moine de l’école de la Terre pure (Jōdo shū 浄土宗) proche du premier shogun, Tokugawa Ieyasu 徳川家康 (1543-1616).

Ce dernier a réuni les habitants de Shimabara et a prêché devant eux pendant 17 jours. Cependant, pas un seul [des catholiques] n’a écouté [sérieusement] ses prêches. Le moine a alors dit : « Quoique je leur dise pour leur édification, cela ne sert à rien. [Leur obstination] vient du fait qu’ils ont reçu l’enseignement des sorciers venus de l’étrangers. » Banzui est rentré peu après dans le Kantō33. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 590

26. La simple signature d’un registre attestant de leur changement de religion semble avoir provoqué la réprobation des plus opiniâtres. Plusieurs préfèrent affronter la mort plutôt que d’apposer leur sceau : La 19e année de Keichō [1614], Yamaguchi Suruga-no-kami […] est venu d’Edo en tant qu’envoyé du shogunat afin d’extirper l’hérésie [qui s’était répandue] parmi les habitants de Nagasaki et Shimabara. Il a fait venir des bateaux au village de Mogi pour se rendre à Kuchinotsu. Vingt bateaux de toutes les tailles ont été envoyés par le seigneur de Satsuma. À Kuchinotsu, Yamaguchi Suruga-no-kami a ordonné aux habitants d’apposer leur sceau sur un document attestant de leur changement de religion. Plusieurs personnes ont dit qu’elles ne pouvaient sceller un tel document. [Les hommes de Yamaguchi Suruga-no-kami] ont saisi 25 figures du village ; après avoir déveiné [leurs mains ?], ils leur ont tranché les doigts ; puis, ils les ont tous exécutés. Après, Yamaguchi Suruga-no-kami s’est rendu à Arima. Il a ordonné à tous les habitants de sceller le même document, mais certains ont dit qu’ils ne pouvaient le faire. Pour cette raison, 18 d’entre eux ont été exécutés. L’envoyé du shogunat est allé ensuite à Shimabara et a ordonné la même chose aux habitants de la ville. Parmi les bourgeois, quatre ont dit qu’ils ne pouvaient obéir à cet ordre. Après avoir été interrogés pendant toute une nuit, trois d’entre eux ont décidé d’obtempérer. Un seul s’y est opposé avec obstination. Il a été confié à sieur Taku Nagato d’Arima. Il a été placé en prison dans ce village34. Ibid., p. 591

(189) En 1627, le préfet de Nagasaki demande au fief de Shimabara de faire renier leur foi à 342 catholiques : La quatrième année de Kan’ei [1627], c’est-à-dire l’année du lapin, Mizuno Kawachi-no-kami est devenu préfet de la ville de Nagasaki. À Nagasaki, il a fait inspecter 342 personnes qui ont dit qu’elles ne pouvaient dissimuler leur adhésion à la religion hérétique. Ces personnes ont été remises par les hommes du shogun à Matsukura Bungo-no-kami [le seigneur de Shimabara]. [Ses hommes] ont réfléchi à différentes façons [de les faire apostasier]. Les catholiques ont subi diverses tortures. À tel point qu’ils sont [pratiquement] tous tombés et ont eu la vie sauve. Parmi eux, un seul, Kamiya Jōya, a refusé de dissimuler [sa foi]. On l’a plongé dans les enfers de Unzen35. Unzen est un volcan situé au centre de la péninsule de Shimabara où les catholiques étaient torturés ou exécutés. Ibid., pp. 591-592

Dato sobre el arraigo del cristianismo: Par exemple, à la fin du XVIe siècle, les registres des religieux itinérants d’Ise, le principal sanctuaire du pays, montrent que ceux-ci n’avaient pratiquement plus accès aux régions où, avec le soutien des seigneurs, la Compagnie de Jésus s’était imposée36. Kudamatsu 2002, pp. 93-94.

A partir de ahora los jesuitas tendrán mucho trabajo reconciliando a los lapsos: Baltasar de Torres décrit de cette façon l’activité des jésuites en 1620 : [Mattheus de Couros] envoie les pères effectuer des missions dans tous les royaumes [du Japon]. Nous avons fait plus de missions durant cette persécution qu’en temps de paix. N’ayant ni maison, ni endroit fixe où résider, la nécessité nous oblige à parcourir toutes ces régions et à affronter le danger. Mais cela est

(190) très positif et bénéficie aux chrétiens. Nous confessons une multitude de gens, il y a toujours de nouveaux baptêmes et certains se relèvent après êtres tombés tandis que la persécution faisait rage37. ARSI, Jap.Sin., vol. 38, fos 240-241 vo, 21 octobre 1620 : « [Mattheus de Couros] manda os Pes a diversas missões por todos estes reynos, e mais missões se tem feito nesta perseguiçam que no tempo da paz porque como não temos casas, nem lugares determinados em que estar, a necessidade nos obriga a discurrir por todas partes com mto perigo mas com mto fruito e pveitamento destes xpãos, confessase infinita gente, sempre ha baptismos de novo, e se alevantão outros q com a furia da perseguiçam tinham caydo »

Toutefois, ceux-ci sont de moins en moins nombreux : jusqu’en 1625, tous ordres confondus, ils sont une trentaine. Après 1625, il est pratiquement impossible, pour le clergé, de pénétrer clandestinement dans l’archipel et les missionnaires sont arrêtés les uns après les autres ; le dernier jésuite aurait été exécuté en 1644 38. Schütte 1968, pp. 348-366

Cristóvão Ferreira écrit, dans son rapport sur Shimabara cité précédemment, que ce sont même les catholiques qui demandent aux missionnaires de ne pas courir des risques inutiles : Les Européens ont une apparence physique si différente de celle des Japonais qu’ils ne peuvent se déguiser de sorte de ne pas être tout de suite reconnus et arrêtés. Le père insistait pour que l’on le laissât se rendre sur un terrain inculte afin de confesser et de donner les sacrements à ceux qui voudraient se rendre auprès de lui. Cependant, [les chrétiens] répondirent que cela aboutirait au même résultat, car, dans une époque comme celle-ci, sa présence ne pouvait être dissimulée pour les multiples causes et raisons qu’ils alléguaient ; ils étaient convaincus qu’il serait arrêté sans pouvoir aider les chrétiens et, à bien y penser, ils ne pouvaient consentir à une telle demande, car ils estimaient qu’elle était contraire au meilleur service à Dieu et au bien de cette chrétienté. Ainsi, il dut se plier à une volonté étrangère à la sienne ; contraint par la situation, il prêta secours [à ses ouailles] par des lettres. En instruisant sur leur rôle les kanbō, les dōjuku39, et les chrétiens fervents ayant une bonne connaissance de notre sainte foi, le père

(191) récolta les fruits de ses efforts et, comme nous le verrons, [ces fruits] furent nombreux40. ARSI, Jap.Sin., vol. 63, fos 130 vo-131, 25 janvier 1628 : « […] porq como os Europeos são tão differentes nas feições dos Japoes não se podem disfraçar de modo q não seião logo conhecidos e prezos […]. Instava o Pe q plo menos se queria meter em hum mato, e aly confeçar e sacramentar os q a elle quisessem acodir, porem a isto responderão q vinha a ser o mesmo ; porq sua estada em tal tempo não podia ser emcuberta por muitas causas, e rezões q allegavão, e eram certo aver de ser prezo sem poder ajudar os christãos, e finalmte por remate de tudo dizião q de nenhum modo avião de conssentir tal cousa por entenderem ser o contro de mayor serco de Deos, e bem desta christandade pelo q foi forsado a seguir a vontade alheya contra a propria, e ceder ao tpo, acudio com tudo por cartas. Cambos dojucos e outros christãos afervorados, e bm entendidos nas cousas de nossa sta fee instruindo os no q devião fzer e não colheo pouco fruito como yremos vendo ».

Dans une lettre de 1623, il est spécifié que les confréries ont pour principal objectif de diffuser, parmi la population catholique, un enseignement conforme à celui des jésuites41 ; un règlement de confrérie de 1620 du fief de Shimabara stipule que tout prédicateur, avant d’être reçu dans la communauté, doit montrer le sceau de la Compagnie42. Sesuzu no o-kumi no reikarasu 世須ゝ乃御組のれいから須 (Les règles de la confrérie de Jésus). On peut en consulter une transcription dans Matsuda 1967, pp. 1148-1151. Le passage cité se trouve p. 1148.

Un traité imprimé à Nagasaki en 1603, le Konchirisan no riyaku こんちりさんのりやく (Les Mérites de la Contrition), est l’ouvrage jésuite dont on a retrouvé le plus de copies manuscrites aux XIXe et XXe siècles dans les villages de descendants de catholiques43. Kawamura 2011, pp. 236-300.

Dans les années 1790, à Urakami 浦上, un bourg situé dans le voisinage de Nagasaki, les autorités shogunales confisquent une dizaine d’écrits lors d’une enquête sur la communauté crypto-chrétienne locale : parmi ces derniers, on trouve deux exhortations au martyre et quatre vies de femmes martyres de l’Antiquité44. Anesaki 1925, pp. 28-31.

(192) Une pratique consistant à faire annuler son apostasie en scellant un serment de retour à la foi est, jusqu’à la fin des années 1630, attestée dans les documents traitant de Shimabara. On trouve la mention d’un tel comportement dans les Récits d’un ancien du village d’Arima de la province de Hizen : La cinquième année de Kan’ei [1628], c’est-à-dire l’année du dragon, 207 habitants du village d’Arie, qui regrettaient d’avoir scellé un document attestant de leur rejet de la religion [catholique], se sont rendus en groupe à Shimabara afin de restituer ces documents [aux autorités]. Parmi eux, se trouvaient [Kichibei], Gonzaemon, Sakuemon, les époux Kyūi, Mataemon et la fille de Kenmotsu. Ces sept personnes étant à l’origine de ce mouvement, il a été décidé qu’elles subiraient le supplice de la scie en bambou. Ne pouvant supporter un tel sort, elles ont pratiquement toutes décidé de renoncer [de nouveau] à leur religion. Kichibei s’est obstiné dans son refus ; il a été décapité. S’agissant de personnes importantes, Gonzaemon et Sakuzaemon [Sakuemon ?] ont été exécutés. Les quatre autres ont eu la vie sauve45. Zokuzoku gunsho ruijū 1907, 12, p. 592

En 1627, environ 80 villageois de Yamadera, en prévision de la venue prochaine d’officiers du fief, auraient procédé de la même manière.

(193) Il y a près de Shimabara un village du nom de Yamadera dont les habitants, sachant ce qui se passait dans la ville et comprenant qu’ils devraient eux aussi bientôt subir les mêmes épreuves et difficultés, s’unirent et s’allièrent en se faisant tous la promesse de choisir plutôt la mort que de reculer dans la confession de leur foi. Ils étaient plus de quatre-vingts, et en tous on voyait la même ferveur, le zèle dans le service à Dieu, et la volonté de donner leur vie pour le Christ. Le tyran eut vent de leur résolution, et celle-ci ne fit qu’augmenter sa colère, car il voyait que quelques pauvres laboureurs s’étaient alliés afin de ne pas obéir à ce qu’il voulait les contraindre de faire avec tant de sévérité47. ARSI, Jap.Sin., vol. 63, fo 130, 25 janvier 1628 : « Ha perto de Ximabara hua aldea chamada Yamadera cujos moradores sabendo o q passava na Cidade, entendendo q tão bem avião logo de passar plo mesmo exame, e rigor se unirão, e confederarão entre sy comprometendosse todos a morrer antes q fazer pee atraz na confição da fee. Passava o numero delles de oitenta, e em todos se via o mesmo fervor, zello da honra de deos, e vontade de dar a vida por Christo. Teve o Tyranno noticia de esta rezolução e com ella lhe creceo mais a ira vendo q huns pobres lavradores se união entre sy pera lhe não obedecerem no q com tanto rigor lhes mandava ».

Après 1614, les catholiques signent aussi ce que l’on appellerait aujourd’hui des « pétitions de soutien » aux ordres présents au Japon (jésuites, franciscains, dominicains, augustins). Plusieurs de ces pétitions, qui étaient envoyées en Europe, ont été conservées. Cette action, qui n’était pas sans risque, était vraisemblablement perçue comme méritoire aux yeux des signataires48. Une pétition de soutien aux dominicains envoyée par la communauté de Nagasaki en 1622 a été analysée en détail par Reinier H. Hesselink (2015).

Jurer serment devant les dieux et les bouddhas est une pratique encore très courante dans les années 1600. On peut le faire pour une variété d’accords engageant deux ou plusieurs parties ; c’est par exemple sous cette forme que les seigneurs nouent des alliances. Ceux qui se dédient sont promis aux pires sanctions. Des historiens estiment qu’à partir du XVIe siècle, de moins en moins de Japonais croient réellement dans les implications quasi magiques prêtées à ces documents : la multiplication des divinités mentionnées et l’obligation de plus en plus fréquente qu’avaient les jureurs de signer de leur sang attesteraient de cette évolution49. Shimizu 2010, pp. 151-156.

(194) On peut imaginer que le jeûne, le redoublement de la prière ou la mortification aient été perçus comme autant de solutions pour obtenir le pardon de ses fautes. Des études ont montré que cette dernière était particulièrement prisée des catholiques de Kyūshū 51 . Shin 2013

plusieurs indices dans la documentation laissent penser qu’après 1614, l’adhésion à une confrérie était perçue par les catholiques comme un moyen pour effacer ses péchés et assurer son salut.

règlement d’une confrérie jésuite dédiée à Marie évoque dans son préambule leur importance ; le texte date de 1618 : 1. L’objectif de ce kumi53 groupe ou une association.

(ou confrérie) […] n’est pas seulement le bénéfice de ceux qui la rejoignent, mais aussi le bon entretien et gouvernement de la chrétienté. En répartissant les chrétiens [sous la direction de] certains chefs et congrégations, ils sont mieux et plus facilement aidés et gouvernés en toute chose. En temps de persécution, les bienfaits d’une telle organisation sont patents54. Kawamura 2003. Voir la page 423

(195) À Shimabara, tous les catholiques, peu ou prou, avaient un lien avec une confrérie, en étant confrères ou en appartenant à une maisonnée dont le maître l’était55.

Deux de ces documents, qui datent du début des années 1620, concernent des confréries de Shimabara contrôlées par la Compagnie de Jésus. Plus que sur les devoirs individuels, ces règles insistent sur la réversibilité des mérites – une pratique bien connue du bouddhisme japonais56 – Gorai 1991.

et sur la nécessité d’être solidaire

La répression [contre le clergé] étant rigoureuse, vous avez compris que vous ne pouvez plus vous rendre dans les églises 57 ,

assister à la messe, écouter les prédications ou vous entretenir avec les pères et les frères [de la Compagnie]. Il est donc extrêmement important que, de temps en temps, les chrétiens se réunissent un peu partout, s’exhortent à travailler à leur salut et fortifient leur foi. C’est pourquoi, sans relâche, vous devez vous encourager et vous réunir, sans négligence, aux dates fixées. Il va sans dire que ces actions feront gagner à chacun d’entre vous les bienfaits [de Dieu]. Vous devez être conscients que prêter soutien à son prochain est une action extraordinairement méritoire [auprès de Dieu]58. Matsuda 1967, p. 1148

En ce moment, le Tengu [le Diable] entraîne les chrétiens dans la voie du mal, leur fait perdre la foi et s’efforce de les faire combattre les lois voulues par Dieu. Tout cela est incontestable. Les chrétiens, qui sont des serviteurs de Dieu, doivent unir

(196) leur coeur, affermir leur foi et encourager la piété. Il faut qu’ils fassent tout leur possible pour que la loi [de Dieu] prospère chaque jour davantage. Sans faute, rappelez à ceux qui sont sous votre direction qu’agir de la sorte procure les bienfaits inestimables de Dieu59. Matsuda 1967, p. 1148

étaient plutôt réservées à une élite dévote et promouvaient une piété intériorisée.

demande de bref d’indulgence que la Compagnie adresse au pape. Ce document n’est pas daté, mais il est certain que celui-ci est postérieur à 1622, puisque la canonisation d’Ignace de Loyola (1491- 1556), qui a eu lieu cette année-là, est signalée61. Como os Religiosos das demais religiões que estão em Japão, pera atrahirem a gente a suas Confrarias alegão q as Nossas nao tem indulgencias, como tem as Suas, nos pareceo conveniente pedirse ao Summo Pontifice algumas pera quatro Confrarias q em Japão fossem proprias da Compa. ARSI, Jap.Sin., vol. 22, fos 258-259, non daté (après 1622).

50. Six des 19 indulgences demandées concernent en particulier le comportement des catholiques lors de la répression. Il semble que la Compagnie de Jésus voulait montrer à ses fidèles que tout acte méritoire, en cette période de crise, devait se faire dans le cadre de l’une de ses confréries. Ainsi, rendre visite et encourager un catholique emprisonné pour ses convictions religieuses rapporte mille ans d’indulgence (point 10) ; ramener un apostat à la foi, une indulgence plénière (point 11) ; même récompense pour ceux qui assistent les missionnaires clandestins (point 12), ceux qui encouragent les futurs martyrs à se réjouir en public de mourir pour la vérité (point 14) ou ceux qui prennent à leur charge les veuves et les orphelins de ces derniers (point 15). La 13e demande d’indulgence concerne les confrères qui refusent, de bouche ou par écrit, de renier leur foi : 13°. Chaque fois que l’un des confrères, pressé par un préfet ou des officiers de justice d’abandonner sa foi en notre Seigneur Jésus Christ, répond avec

(197) détermination que, jusqu’à la mort, il ne peut l’abandonner, ou s’il ne signe pas le papier que signent ceux qui renient, ou s’il n’accepte par les écrits païens qu’ils appellent fuda, et qui sont distribués, sur ordre des seigneurs, par les moines bouddhistes, il gagne une indulgence plénière62. Ibid., fo 258 vo : « Cada vez q qualquer dos Confrades sendo persuadido do Presidente, ou oficiais da justiça q deixa a fee de nosso senhor IESU Chisto, responder animosamte q a não ha de deixar ate a morte : ou se não assinar no papel no qual se assinão os q retrocedem, nem aceitar os Escritos gentilicos q per ordem dos Tonos repartem os bozus, a q chamão Fuda, ganhara indulgencia plenaria ».

(198) D’une certaine façon, on peut définir la piété catholique ultérieure à l’édit de 1614 comme étant compensatoire. Les catholiques, ou plutôt les crypto-catholiques, sont dans le besoin régulier de se faire pardonner leur faute d’avoir renié formellement leur foi. La réticence que beaucoup d’entre eux avaient à devenir, en apparence, bouddhistes montre qu’ils avaient fait leur l’exclusivisme du message missionnaire et qu’ils étaient convaincus que tenir bon jusqu’au bout était le meilleur moyen d’obtenir le salut. 51. Les fuda 札 sont des amulettes protectrices sur lesquelles figurent en général le nom d’une divinité ou d’un bouddha. Elles servent à attester de l’adhésion de son propriétaire à un culte ou de son soutien à un sanctuaire ou un temple.